18 avril 2024
EscaladeNews et actu

Romaric Geffroy: champion de France et falaisiste?

romaric geffroy champion france escaladePour moi, Romaric Geffroy était un pur falaisiste, un grimpeur de rocher. Il a d’ailleurs laissé le souvenir d’un grimpeur très technique lors d’un rassemblement de bloc Patagonia au Plan de l’Aiguille (Chamonix). La mémoire collective se rappelle encore de l’infinité de temps qu’il était resté sur une petite prise de pied, à vue dans une dalle. Le chausson, un Katana Laces, s’en rappelle encore lui aussi, et ne s’en est jamais remis d’ailleurs (gomme de la bande avant coupée).

Connaissant peu Romaric, j’ai été impressionné par sa victoire indiscutable aux Championnats de France 2022 de difficulté. Impressionné mais aussi surpris. J’avais entendu dire qu’il s’était beaucoup entrainé depuis plusieurs mois. Mais là, en finale, il a mis tout le monde d’accord (voir ce lien, j’ai également mis la vidéo de son run plus bas dans l’article).
En tant que vieux grimpeur romantique, je suis trop souvent peiné de voir des grimpeuses ou grimpeurs ne mettant jamais un doigt en falaise gagner des compétitions de difficulté. Sa performance en finale m’a donc fait très plaisir, et m’a également interloqué. Comment Romaric a-t-il construit cette victoire ? De tout évidence, il ne peut pas être que le “pur falaisiste” que je m’imaginais.

Voici le rendu de la longue discussion que nous avons eu récemment à ce sujet. J’espère que cela vous intéressera. Mais avant, je tiens à remercier chaleureusement Théo Cartier (instagram.com/theo.cartier.toc) pour les photos de Romaric dans “Hématomes crochus”, 9a à la Ramirole (Verdon).


Fred Vionnet: Salut Romaric. Comment es-tu venu à la grimpe? Peux-tu te présenter rapidement?”

Romaric Geffroy:
“J’ai 26 ans et j’ai commencé l’escalade à l’âge de 10 ans, à l’AS Villefontaine. Je suis venu à la compétition petit à petit, vers l’âge de 12-13 ans. Avant la catégorie sénior, je n’ai jamais été sélectionné en Equipe de France pour les compétitions internationales. Mon niveau était trop bas. Même si j’ai fini 5ème d’une finale de championnats de France en cadet, en oubliant de clipper une dégaine ce qui m’a empêché d’aller au bout de mon essai …”

Fred Vionnet: “Est ce que tu grimpais déjà en falaise, ou tu te consacrais uniquement à la compétition?”

Romaric Geffroy:
Je faisais de la falaise avec le club, durant des stages. Donc pas de manière régulière. Je me suis vraiment mis à la falaise vers 18/19 ans. J’ai commencé à avoir des bons résultats en compétition au même âge, en arrivant chez les séniors.
Pour ma première année chez les “grands”, en 2018, je me suis sélectionné pour ma première coupe du Monde à Chamonix. En 2019, j’ai fini 5ème aux Championnats de France à Arnas. J’ai ensuite participé aux coupes du Monde de Chamonix et Briançon, me qualifiant pour la demi-finale sur cette dernière.
Puis, en 2020, je n’ai pas fait un bon résultat aux championnats de France. Je n’ai donc pas été sélectionné en Equipe de France. Cela a coïncidé avec la fin de mes études. J’avais prévu de prendre une année sabbatique pour faire beaucoup plus de falaise avant de rentrer dans la vie active, et j’ai été sélectionné pour le Roc Aventure Programme de la FFME.
En 2021, je n’ai pas fait de compétitions non plus. J’étais en recherche d’emploi, et il était plus simple de faire beaucoup de falaise que de m’entrainer pour les compétitions, car cela demande une vie très stable.”

Fred Vionnet: “C’est à ce moment-là que tu as commencé à essayer “Biographie”?”

Romaric Geffroy:
En fait, j’ai beaucoup essayé “Biographie” de 2018 à 2021. Même si je n’étais pas si loin, j’avais la sensation de ne pas progresser dans cette voie et de stagner dans mon niveau de grimpe. J’ai réalisé que j’avais une réelle envie de progresser. Pour cela, il fallait que je mette en place un entrainement vraiment cadré et organisé. L’objectif était de pallier mes lacunes physiques pour voir jusqu’où j’étais capable d’aller.
J’avais envie de me remettre à la compétition et ça me paraissait aussi être le moyen le plus pertinent de mettre en place un entrainement rigoureux avec des objectifs précis. Et si je ne réussissais pas en compétition, ou que je perdais la motivation pour cette pratique, ce ne serait pas des années perdues car mon niveau allait augmenter. Ce qui serait ensuite transférable à la falaise.

Fred Vionnet: “Comment as-tu organisé ce retour à l’entrainement pour la compétition?”

Romaric Geffroy:
J’ai quasiment arrêté de grimper en falaise, ne grimpant dehors qu’occasionnellement pour une pratique récréative. Pour te donner une idée du changement, j’ai dû grimper 10 fois en falaise sur l’année 2021, contre peut être 150 fois en 2020.
J’ai désormais un emploi fixe à 80% d’un plein temps. Je vis à Annecy et je bénéficie d’un accès facile à des structures d’entrainement adaptées. Ce sont des critères indispensables pour mettre en place une programmation efficace. Je suis revenu vers Adrien Pirolo (instagram.com/adrienpirolo) qui m’entrainait déjà lors de mes saisons précédentes de compétition.
Avec Adrien, nous avons changé d’approche, avec une progression très axée sur le physique. Plus précisément sur la force max et l’endurance de force ou résistance courte. J’ai beaucoup travaillé sur des efforts de 15 mouvements maximum. Je suis naturellement doué pour les efforts plus longs de rési longue et de conti, et en plus je les ai énormément travaillés en passant tout ce temps à grimper en falaise. Nous n’avons donc pas cherché avec Adrien à développer ces filières longues. Il me suffit de les conserver ou de les affuter.
Ces 2 saisons sans compétitions m’ont permis de réfléchir sur mon envie de revenir à la compétition. Et sur pourquoi je voulais y revenir. Même si je n’étais pas absolument certain d’avoir une envie assez forte, le meilleur moyen de le savoir était d’essayer. J’ai donc décidé d’y retourner avec plus d’implication qu’auparavant, sans me laisser porter par l’entraineur et la planification qu’il me fait suivre. C’est désormais important pour moi de participer à la mise en place du meilleur entrainement possible en échangeant beaucoup avec mon entraineur. Je me questionne beaucoup sur les moyens que je peux utiliser pour m’entrainer. J’essaye de tout optimiser.
D’ailleurs, après ma victoire aux championnats de France cette année, je me suis reposé la question. Ai-je vraiment envie de continuer ? Est-ce que cela me donne du plaisir ? Quelles sont mes vraies motivations ?

Fred Vionnet: “J’aimerais qu’on revienne sur ta victoire aux Championnats de France de cette année 2022.”

Romaric Geffroy:
La voie de finale était en rési à gestion d’effort, presque de la conti . Elle me convenait donc très bien. Je n’étais pas stressé au moment de partir. J’ai bien grimpé la section sur volumes dans le toit et je suis arrivé en bonne condition au repos. J’en suis reparti très décontracté et reposé pour la section de rési sur arquées. Et c’est ce que je sais le mieux faire.
Cette performance a concrétisé tout ce que j’ai mis en place durant les mois précédents. Je savais que j’avais un bon niveau physique mais sans avoir jamais perfé lors d’une compétition importante. Il fallait que le mental soit aussi en place et je savais que c’était possible. Je suis donc arrivé conscient de mon niveau, tout en étant plus humble. Je n’avais pas d’attentes particulières et j’ai pris le parti d’accepter l’incertitude.
La demi-finale était par contre beaucoup plus stressante. C’est même le moment le plus stressant de la saison, où tout se joue si tu veux te qualifier pour le circuit de Coupe du Monde.”

Fred Vionnet: “Bonne transition! Parles nous justement de cette saison de Coupe du Monde”

Romaric Geffroy:
“Je savais que je n’étais pas forcément le meilleur français sur le style des voies de Coupe du Monde. Surtout que le titre de Champion de France ne se joue que sur une compétition. Donc je ne suis pas arrivé en me donnant un statut particulier malgré mon titre. Je suis conscient de la différence de niveau entre les compétitions nationales et internationales.
Je suis très content de ma saison. Je me suis classé 21ème à Chamonix, 33ème à Briançon, 24ème à Innsbrück et 23ème à Villars. En grimpant décontracté, sans stress. Ce qui est certainement lié à la très bonne ambiance en équipe de France. L’encadrement à mis en place un esprit d’équipe très aidant. Lors de mes expériences précédentes il me semble que la performance se faisait de manière plus individuelle.
J’ai régulièrement bien grimpé dans les voies flash des qualifications. Cela m’a permis d’atteindre 3 demi-finales sur les 4 Coupes du Monde auxquelles j’ai participé. Mettre des gros runs en allant au bout de son physique, cela procure beaucoup de plaisir. J’ai par contre eu plus de mal lors des demi-finales qui sont à vue. Je ne suis pas très bon en lecture, dans la prise de décision et la gestion de l’incertitude, quand il faut laisser parler l’instinct. Mais je ne le vis pas comme un échec.

 
 
 
 
 
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Fred Vionnet: “Comment tu as vécu ce retour au niveau international après 2 ans de falaise?”

Romaric Geffroy:
“Effectivement, je me demandais si le niveau avait augmenté. J’ai l’impression qu’il a peu augmenté, ou alors c’est moi qui ai beaucoup progressé. Concernant les voies, le style est le même.
C’était quand même bizarre pour moi de me remettre dans un esprit compétitif après cette interruption. La différence de nature entre une performance en falaise et une performance en compétition est grande. J’avais plein de réglages à faire, surtout au niveau du mental et de la gestion des contraintes spécifiques comme l’isolement, l’observation, etc.
J’ai eu besoin de passer par 3 Coupes de France et les Championnats régionaux pour me réadapter. Sur les Coupes de France, j’ai vraiment manqué d’efficacité malgré un très bon niveau physique. Lors de chaque compétition, j’ai fait une erreur qui a couté cher… A Besançon, j’ai eu un problème de prise de décision. A Gémozac, j’ai ressenti de la pression. A Marseille, j’ai fait une erreur de lecture. Puis aux Régionaux, j’ai gagné en grimpant bien. La préparation mentale que j’avais commencée après Besançon, en février, m’a permis de corriger mon état d’esprit et d’être prêt pour les compétitions importantes.

Fred Vionnet: “Est ce que tu repars pour la saison 2023?”

Romaric Geffroy:
Oui, je repars pour le même type de saison avec à peu près les mêmes objectifs : reporter le maillot de l’Equipe de France, pour faire mieux en Coupe du Monde si je me qualifie. L’objectif sera alors de faire dans les 15 premiers de manière régulière.
J’ai pris du temps pour grimper en falaise au début de l’automne, mais je suis depuis retourné dans les salles. La grimpe en falaise n’est pas bénéfique durant une saison de compétition.

Fred Vionnet: “Donc, selon toi, grimpe à haut niveau en compétition et en falaise ne sont pas compatibles?”

Romaric Geffroy:
Dans mon cas non, ces 2 pratiques ne sont pas compatibles. Pour d’autres grimpeurs, cela peut être différent peut être.
Les préhensions et les efforts des voies de Coupe du Monde ont beaucoup évolué sur les 15 dernières années. S’en est fini des voies de rési très typées falaise sur arquées et semi-arquées. On y trouve beaucoup de prises plates, de pinces, générant des mouvements puissants, dynamiques. Tu es obligé de prendre des risques. D’autant plus que le temps limite a baissé à 6 minutes.
La grimpe en falaise exige généralement plus de gestion des décontractions et du relâchement. Ce ne sont pas des facteurs de performance primordiaux en compétition. Par exemple, pour revenir à “Biographie “, la principale difficulté de cette voie réside, selon moi, dans ta capacité à gérer les repos. Alors qu’en compétition, surtout avec la règle des 6 minutes, tu restes peu sur les repos. Et encore faut-il qu’il y ait des repos dans la voie. Tu profites plutôt de manière générale des mouvements moins durs pour te refaire un petit peu.
Du coup, je pense que la pratique de la falaise ne sert à rien pour te préparer physiquement aux compétitions. Particulièrement pour moi, qui maitrise relativement bien les efforts longs, le relâchement et la patience sur les positions de repos.
Par contre, grimper en falaise me permet de me ressourcer. C’est un type de pratique moins stressant, moins frustrant, bénéfique à ton équilibre mental. Et je pense que si Jakob Schubert, Adam Ondra ou encore Alex Megos par exemple, grimpent encore dehors, c’est parce qu’ils savent pertinemment que cela permet de prendre soin de leur motivation à s’entrainer. Cela ne leur permet pas de progresser pour avoir de meilleurs résultats en compétition.

romaric geffroy champion france escaladeFred Vionnet: “Est ce que la grimpe en falaise te manque ?”

Romaric Geffroy:
Actuellement, je n’ai pas besoin de grimper souvent dehors pour garder la motivation et le plaisir de m’entrainer. Le jour où je serai cramé mentalement, je retournerai à la falaise plus souvent.
Pour la saison prochaine, je vais probablement faire plus souvent du bloc en extérieur. Cela me semble plus compatible avec la compétition de difficulté, plus transférable.”

Fred Vionnet: “Si j’ai bien suivi, tu travailles sur te points faibles pour avoir de meilleurs résultats en compétitons, et cela te permettra d’être plus fort en falaise ?”

Romaric Geffroy:
Oui, car je travaille beaucoup sur la tenue de prise et la puissance. Et ces qualités me manquent souvent dans les voies à partir de 9a.”

Fred Vionnet: “Expliques nous stp la différence entre un à vue en falaise, et un à vue en compétition.”

Romaric Geffroy:
“En falaise, je suis efficace à vue. Et pourtant en compétition, je parviens beaucoup mieux à m’exprimer lors des qualifications qui se font flash, que lors des demi-finales à vue. Par exemple, à Innsbruck, j’ai fait 9ème en qualification, et 24ème en demi. C’est récurrent et paradoxal, et je me suis donc déjà posé cette question.
Lors d’un essai à vue en falaise, tu n’as pas de temps limite. Je peux facilement prendre 30 minutes dans une voie. Il faut être patient, relâché, profiter des décontractions pour prendre un maximum d’informations etc. Alors qu’en compétition, avec le temps limite et l’intensité de l’effort, la prise de décision doit être beaucoup plus rapide. La gestion de ton effort est vraiment différente. La lecture depuis le sol est beaucoup plus importante et je dois m’améliorer sur tous ces points.”

Fred Vionnet: “Et pour terminer, quelles sont les voies qui te font rêver ? Que tu voudrais essayer quand tu auras le temps. Je parle de falaise évidemment”

Romaric Geffroy :
Quand j’aurai le temps je commencerai par retourner voir si Biographie veut bien de moi. Ensuite c’est un peu flou, j’ai envie de repousser mon niveau mais j’ai aussi envie de faire plein de belles voies dans le 9a-9a+ et de varier ma pratique (trad, grandes-voies, bloc).
« Du côté des gros projets il n’y a pas vraiment de voies connues qui me font rêver à part peut-être la Rage d’Adam que j’ai pu essayer cet été. Je crois que je suis un peu fâché avec les voies « classiques » homogènes, ce que je cherche en priorité dans mes projets aujourd’hui, c’est l’originalité de la gestuelle, l’intensité et un sentiment de découverte. J’ai du mal à me projeter dans ces voies connues, vues en vidéo parce que je ne sais pas si elles vont vraiment me plaire. J’ai plusieurs fois été déçu en essayant des classiques dans le 9, si je me mets un long projet c’est dans une voie que je trouve vraiment incroyable et pas seulement dans un défi physique. En ce moment les voies non ou peu réalisées me motivent particulièrement et j’ai quelques idées de ce côté-là ! »

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