28 mars 2024
Conseils entrainement escaladeEscalade

Effets de différentes intensités d’entrainement sur la force, la rési et l’endurance

L’escalade sportive est un sport jeune. Les méthodes d’entrainement ont été élaborées de manière empirique et/ou en copiant-collant ce qui se fait dans les autres sports. Cela ne fonctionne pas si mal, mais cette manière de programmer l’entrainement atteint ses limites vu les particularités de notre sport. Le problème étant que, si la recherche scientifique en préparation physique des sports grand public est diffusée et vulgarisée sur le web ( citons par exemple Prépa & Performance, Olivier Bolliet, Upside Strenght), celle liée à l’entrainement en escalade ne l’est pas ou peu dans les sites web français soi-disant spécialisés (merci aporteededoigts.com de sauver la mise!). Sont-ils plus passionnés par la vente de bannières publicitaires ? Les anglo-saxons ont une fois de plus de nombreux wagons d’avance (avec Lattice Training, entre autres).

Je réalise, tardivement malgré mon lointain passé universitaire, que pourtant beaucoup d’études scientifiques consacrées à la grimpe sont menées, souvent très intéressantes. Des répercutions concrètes pourraient se transférer sur nos façons de pratiquer et de nous entraîner. Et néanmoins elles ne sont pas diffusées, pas vulgarisées, pas traduites. Voilà de quoi m’occuper encore un peu plus…

En revenant aux particularités de l’escalade, la principale serait, il me semble, cet acharnement qu’elle demande sur nos petits muscles des avant-bras pour tenir les prises. Des petits muscles qui doivent fournir des efforts intenses, intermittents, et statiques (isométriques plus exactement). Cela m’amène à vous présenter cette étude menée par Marine Devise, Clément Lechaptois, Eric Berton et Laurent Vigouroux au sein de l’université d’Aix-Marseille.

entrainement escalade poutre grimpisme smartboardCette étude récente (lien ici) s’intéresse aux effets de différentes intensités d’entrainements sur poutre durant 4 semaines sur la force doigt, la résistance et la continuité. Concret et crucial, non ? Je voudrais en sortir des conclusions pratiques sans mal l’interpréter.

Je serais tenté de la résumer lapidairement en ces termes :
– L’entrainement à une intensité fait progresser dans les performances à cette même intensité (c’est à dire la force fait progresser en force, la rési en rési etc.).
– L’entrainement en rési fait progresser également en force et en conti.
– L’entrainement en conti fait progresser en rési et conti, mais pas en force.
– L’entraînement en force ne fait pas progresser en rési et en conti.

J’ai sollicité Laurent Vigouroux pour valider ou invalider mes rapides conclusions. Il s’est montré très disponible pour répondre à mes questions et je l’en remercie.


Salut Laurent, peux-tu te présenter ?

Bonjour ! Je suis maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille à Luminy en biomécanique et physiologie, et surtout un grimpeur (trop ?) passionné. Récemment, j’ai créé une start-up avec Clément Lechaptois (un autre grimpeur « trop » passionné 😊) qui développe et commercialise la SmartBoard (www.smartboard-climbing.com).
La SmartBoard est une poutre instrumentée et connectée. Avec cette innovation « made in France », nous sommes les premiers à avoir réussi à produire une poutre qui offre la précision d’un outil de laboratoire et la robustesse pour endurer les milliers de tractions par jours réalisées dans les salles d’escalade. Elle mesure l’intensité de la force appliquée sur les prises. Cela permet de réaliser des évaluations diagnostiques de nos capacités des doigts (force, rési, déséquilibre etc) et des bras (puissance, endurance des bras etc.) avec des méthodes scientifiques que j’ai développées dans mon labo et de se référer à une base de données. Nous associons ces évaluations à des entraînements ciblés et individualisés comme ceux présentés dans l’article.

Valides-tu “globalement” mon résumé ci-dessus ?

Oui c’est parfaitement bien résumé. Jusqu’à maintenant en escalade, l’entraînement est basé sur une modulation du temps et/ou de la taille des prises. D’un point de vue physiologique cette approche est forcément limitée et notre étude explore les effets de l’intensité des efforts produits ce qui est la référence dans la plupart des autres sports. Par exemple, si vous vous entraînez en développé-couché, vous modulez le poids porté en pourcentage de la 1RM pour progresser (votre poids maximal sur une poussée). Nous explorons ainsi un entraînement en force maximale (100% de ses capacités), un entraînement en résistance (séries réalisées à 80% de la force maximale) et un entraînement en endurance (séries réalisées à 60% de la force maximale).

Il y a juste un point : dans l’article nous parlons « d’endurance » plutôt que de « continuité ». C’est un détail mais la plupart du temps dans le langage commun nous confondons les deux idées. Continuité se réfère pour moi à une capacité de récupération : c’est-à-dire la capacité à récupérer pour repartir sur une section de résistance ou de force qui peut être aussi intense que la précédente. L’endurance est une vraie modalité physiologique qui décrit notre capacité à produire un niveau de force dans les doigts une fois que notre système est complètement épuisé. Autrement dit, une fois que vous êtes complètement pété « qu’est-ce qu’il vous reste sous la pédale pour sortir la voie ? ». Les deux sont liés mais il vaut mieux être précis.

On a l’habitude de considérer que progresser en force doigt fait progresser en rési et en endurance (pas conti donc) Doit-on relativiser cette croyance ?

Ce n’est pas faux, mais oui je pense qu’il faut relativiser la portée de cette progression. Nous observons effectivement une progression en résistance (+10%) dans notre étude suite à un entraînement en force mais celle-ci est faible et n’est pas significative en comparaison aux autres entraînements (+33% pour l’entraînement en résistance et +21% avec un entraînement en endurance). L’idée de l’entraînement en force pour la résistance est que pour une même voie, ou une même section, avoir plus de force vous permettra d’engager une moindre part de vos capacités et donc de repousser l’apparition de la fatigue. Nous constatons que cette progression en résistance est limitée et que seul un entraînement ciblé en résistance vous permettra d’exploiter pleinement vos capacités physiologiques. En résumé : si votre objectif est la résistance, privilégiez un entraînement en résistance car celui-ci permet de meilleure progression et, de plus, vous permet d’avoir un gain en force significatif dans le même temps.

Dans l’étude, chaque participant utilise une seule préhension qu’il a choisi au départ. L’amélioration dans une préhension se transfèrerait-t-elle aux autres ?

Nous avons choisi cette modalité pour avoir un contrôle précis des tests, c’est-à-dire que nous ne souhaitions pas observer des changements de performances dû à un changement de la préhension. 90% du temps nous étions sur une préhension semi-arquée. Dans un cadre hors scientifique pour l’entraînement, je recommanderais d’utiliser alternativement les préhensions arquées et tendues pour une progression homogène.
En effet, d’autres études préalables ont bien décrit les influences du type de préhension. Ce qu’il en ressort est que chaque préhension présente des spécificités de coordinations musculaires et donc l’entraînement de l’un ou l’autre vous fait progresser principalement dans la préhension ciblée, même si ce n’est pas complètement étanche. Cela explique pourquoi dans le sud nous privilégions l’arquée à force de grimper sur du calcaire alors que c’est plus le contraire à Fontainebleau. Alterner les deux préhensions à l’entraînement est le meilleur moyen pour s’adapter à tous les styles (comme cela est fait dans le protocole de Force).

Je n’ai pas de Smartboard, mais j’utilise souvent la plateforme Entralpi (entralpi.com) pour travailler à la bonne intensité et réaliser des tests physiques. Comment conseillerais-tu aux grimpeurs qui possèdent une simple poutre de procéder ?

Travailler les doigts à la bonne intensité est crucial. Dans notre étude nous montrons que si vous contrôlez bien l’entraînement (2 fois par semaine pendant 4 semaines) avec la bonne intensité vous pouvez espérer un gain en moyenne de 14% en force max, 33% en résistance et 16% en endurance. Il n’y a rien de magique, c’est un process. Si on veut progresser pour notre projet de l’été, il suffit de le faire ! Pour la force maximale ce n’est pas compliqué puisqu’on demande au participant de « tirer le plus fort possible sur la prise » sur une prise sur laquelle il n’arrive pas à se suspendre. On peut donc le faire sur n’importe quelle poutre même si on ne peut pas observer la valeur de force que nous avons réalisée.
Malheureusement, pour l’entraînement en résistance et en endurance il faut se placer à 80% de la force maximale et 60% de la force maximale et cela nécessite un dispositif instrumenté comme la SmartBoard.
Entralpi (qui est un pèse-personne connecté sur lequel on déduit le poids tiré sur la prise) est une bonne alternative moins coûteuse mais la précision de l’outil est faible et il est difficile d’identifier si la force est appliquée par les doigts ou par le mouvement du corps. On peut également essayer de délester 20% ou 40% de son poids sur une prise sur laquelle on se suspend seulement 10 secondes. Cela me parait le moyen le plus facile même si cela nécessite un dispositif de poulies et de poids. Sinon avec un peu de chance, une salle équipée avec SmartBoard est près de chez vous, il y en a une vingtaine en France et la carte est sur notre site internet.

Le test et l’entrainement en force maximale sont réalisés avec des efforts de 6 secondes. Je trouve cette durée longue, particulièrement pour le test. J’aurais tendance à penser que 6 secondes d’effort pourrait correspondre à 3 mouvements en bloc (sans tricoter sur les pieds évidemment). Pourquoi utiliser cette durée?

En fait, il faut comprendre que les protocoles de tests ou les protocoles d’entraînement permettent de tester ou solliciter physiologiquement les muscles des avant-bras et des doigts. Il sont construit afin de correspondre aux caractéristiques d’un effort en escalade : intermittent, isométrique et intense mais aussi selon des principes connus de l’entraînement musculaire. Ainsi, ils peuvent différer sensiblement de certaines pratiques comme tu le décris très bien pour mais cela n’est pas forcément grave dans le sens où la sollicitation est efficace pour l’objectif fixé. Ici l’idée était de renforcer l’amplitude de la force. Maintenant que l’effet de l’intensité d’entraînement est plus clarifié, on pourrait aller plus loin et tester différents timing/répétitions pour l’optimiser. Par exemple, on sait que des entraînements focalisés sur la montée en force (rfd pour les spécialistes) vont développer différentes qualités de force (« explosivité des doigts » vs « force maximale »). Dans cette perspective, il s’agit ensuite de bien identifier quel est le besoin de l’athlète et ensuite lui proposer une version ajustée au mieux.

Sur quoi travailles-tu actuellement?

Actuellement nous avons engagé une autre étude qui s’adresse à l’entraînement de la puissance des bras. Nous avons des participants qui commencent les trainings. Ce sujet me passionne et j’espère que nous allons aussi clarifier les process qui permettent de gagner en puissance des bras. Suite au prochain épisode !


J’espère que cette interview vous aura intéressé. J’ai très envie de reproduire ce type d’articles et d’interviews. Ca me passionne aussi et j’aurais encore 10.000 questions à poser à Laurent. Les conclusions à tirer sur l’entrainement sont très concrètes. On va en rester là… pour le moment uniquement. N’hésitez surtout pas si vous avez des questions!

6 thoughts on “Effets de différentes intensités d’entrainement sur la force, la rési et l’endurance

    • Il faudrait repartir sur un nouveau cycle calé sur le test de la semaine 6.

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  • Et au delà de 4 semaines? Il serait intéressant de voir ce qu’il se passe en adoptant un même protocole de façon routinière et indéfinie, pendant des mois…

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    • A mon avis ça marche dans l’absolu si tu recales les charges. Mais un corps n’est pas une machine, non? Adaptabilité, blessures, lassitudes, etc seront des risques.

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  • Sur 4 semaines le gain se fait surtout sur une amélioration des facteurs nerveux de la contraction musculaire. L’adaptation des fibres nécessite au moins 8 semaines de travail, et plus encore pour une adaptation des tissus conjonctifs. Comme le dit Fred, passé 8 semaines tu as tout intérêt à changer le type de travail, au moins sur un demi-cercle ( 4 semaines si planif sur 8 semaines).

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