L’histoire d’« Anosmia » à Mavrovo, Macédoine du Nord

En nous quittant après la Jordanie nous envisagions avec le Roc Aventure Programme de nous rendre au Brésil pour notre dernier stage. L’objectif pour cette fin de formation était de nous initier au big wall (c’est-à-dire une face nécessitant plusieurs jours d’ascension du fait de sa hauteur et de sa difficulté). Mais la crise sanitaire ne s’atténuant pas, il a fallu s’adapter… Ça tombe bien la Fédération d’Escalade de Macédoine du Nord et l’Ambassade de France en Macédoine proposaient un projet d’échange avec la FFME. L’idée était d’ouvrir une grande-voie sur une paroi vierge repérée par des grimpeurs locaux dans le Parc Naturel de Mavrovo, à l’ouest du pays. Comme il est très rare de se voir offrir sur un plateau un tel projet nous étions super excités ! Il est très difficile de trouver des parois vierges comme celle-là en France ! En Macédoine l’escalade est tellement peu développée qu’on a souvent rigolé devant des petites barres rocheuses en se disant qu’elles seraient sûrement équipées depuis bien longtemps à Grenoble !

Coucher de soleil dans le Parc National de Mavrovo

Quelle surprise en arrivant ! Les photos que l’on nous avait envoyées ne mettaient pas du tout la face en valeur et nous nous attendions à bien moins bien. Pourtant une fois arrivés au parking nous nous sommes vite rendu compte que la face était extraordinaire. Après être monté droit dans la pente pour atteindre le pied de la face, nous avons découvert un mur de colonnettes tellement classe que nous n’avons pas attendu bien longtemps pour commencer à équiper. Une équipe a fait un petit aller-retour au gite pour chercher le matos tandis qu’une autre se chargeait de faire du jardinage pour tracer un chemin et rendre l’accès plus agréable. Ensuite, nous avons fini la journée en équipant depuis le bas la première longueur de notre grande-voie : un 7c physique avec de grands mouvements sur bonnes prises et colonnettes. Et ça a beau être des bonnes prises, quand ça déverse c’est dur de sortir son perfo et percer !! J’ai eu la chance de commencer à équiper et je me suis vite rendue compte que la voie n’allait pas être facile ! Cette première longueur annonçait donc le thème pour la suite…

L’équipe au pied de la face

La première longueur emprunte une ligne qui nous semblait évidente. Mais c’est à partir de la deuxième longueur que le doute s’est installé. Cette colo bleue ou la noire à côté ? Les deux avaient l’air démentes ! Mais finalement il était plus judicieux de s’aventurer dans celle qui était droit au-dessus du relais. Le deuxième jour une équipe s’est donc relayée pour équiper cette deuxième longueur de 30 m sur colonnettes assez plates pendant qu’une autre équipe s’occupait de nettoyer, purger et grimper la longueur équipée la veille (L1). Et chaque jour nous avancions avec cette même organisation. Ceci était possible seulement parce que la paroi était en dévers et il n’y avait alors aucun danger de chutes de pierres pour l’équipe du dessous. À la fin de chaque journée nous essayions d’installer un relais clair et organisé auquel nous fixions le matériel d’équipement et une corde statique permettant à l’équipe suivante de remonter rapidement le lendemain (ou plus ou moins rapidement selon la hauteur ! Plus de 200 m de remontée sur corde ça prend du temps pour moi et mes petits biceps !!). Cette deuxième longueur est ma préférée : un 8b conti avec des pas de blocs à calages super intéressants !

Thoma à l’équipement dans L2

Le troisième jour, me voilà de retour à l’équipement. Je m’attaque à la troisième longueur, une dalle bleue qui paraissait bien lisse mais tellement belle… Nous avions envisagé une autre option plus facile dans un dièdre un peu plus à droite si jamais la dalle était vraiment trop lisse. Suspens… Je commence à percer en artif, j’avance, j’avance… et puis plus rien… Rien d’autre qu’une inversée beaucoup trop loin ! « Jo, il n’y a pas de prises » ! Je regarde encore et découvre une mini réglette sous cette inversée. Super, de quoi se redresser et atteindre la prochaine prise. Je file le perfo à Jonathan et Romaric qui continuèrent cette journée d’artif et de recherche de prises microscopiques tout le reste de l’après-midi. Finalement tout passe en libre, il y a tout juste les prises qu’il faut, c’est magique ! Cette longueur est en fait le crux de notre grande-voie, un 8b+ bien corsé où il vaut mieux avoir les doigts (et les chaussons) bien affûtés !!

À l’équipement dans le début de L3
Romaric à l’attaque du crux de L3

Le quatrième jour, c’est au tour de Guillaume et Thoma de s’attaquer au dévers central de la face. C’est sûrement cette longueur qui nous a fait le plus douter. Encore une fois le rocher ne semblait pas très « prisu » et dans un dévers pareil il vaut mieux qu’il y ait de la prise si on ne veut pas que ce soit 9a ! Mais nous avions repéré une ligne de faiblesse attirante : une grande fissure en diagonale vers la gauche. Après une grosse journée d’artif pour équiper cette ligne les garçons annonçaient 8c. Cette longueur deviendra « seulement » 8a+ après calage des méthodes le lendemain. Une très jolie longueur rési sur plats, inversées et réglettes qui a fait souffrir mes biceps fatigués !!

La « ligne de faiblesse » de L4
Eloi au début de L4

Les prochaines longueurs sont moins difficiles, un 6c aérien en traversée et un 7b vertical nous ont permis d’éviter un mur qui semblait sans prises et de rejoindre le dévers suivant.

Ensuite, le mauvais temps est arrivé et il a fallu attendre une équipe de tournage pour la télévision Macédonienne. Nous prenions donc enfin quelques jours de repos ! Eloi s’est plus tard occupé de l’équipement de la septième longueur : un dévers court et teigneux avec un gros pas de bloc en sortie. Une longueur en 8a intéressante, très physique avec des fermetures de bras obligatoires ! C’est donc encore une longueur difficile qui est créée ce jour-là. Ça commence à être vraiment un gros challenge d’enchainer tout ça à la journée !

Dernier jour, dernier run dans L7

Le lendemain c’est Gérôme et Jonathan qui se lancent dans la longueur suivante. Nous étions quasiment persuadés que cette neuvième longueur, une dalle pleine de mousse, serait la dernière longueur plus tranquille de notre grande-voie. Erreur ! Une fois nettoyée cette dalle ne comportait que des prises fuyantes et jamais au bon endroit ! Gérôme nous a trouvé des méthodes hors du commun. Du genre quand t’as envie de monter le pied droit sur une prise et bah il faut mettre le gauche à cet endroit… Et finalement ça passe ! Et ça donne une cotation 8a+. Encore du 8 oui oui.

Cette huitième longueur donnait sur un jardin de 20 m. Nous envisagions de finir la voie à cet endroit mais nous trouvions dommage de ne pas sortir au sommet, et cerise sur le gâteau le dernier mur nous offrait une qualité de rocher exceptionnelle et une ligne évidente en fissure large. Cette longueur était vraiment cool pour finir en beauté. Un peu particulière car elle ressemblait à une couenne mais ça vaut le coup ! Un peu de Dülfer, un peu de verrous de mains, pas beaucoup de pieds… Un 7b+ bien corsé !

La « garden traverse » 😉

Vous l’aurez compris cette grande-voie n’a pas arrêté de nous surprendre et nous étions déboussolés ! « Anosmia » (c.-à-d. Perte des sens) est née. 😉 Voilà le résultat d’une belle aventure d’équipe. Il a fallu constamment se relayer et chacun a donné le meilleur de soi-même aux moments où il fallait… Toutes les longueurs ont été libérées (merci la machine Gérôme Pouvreau !). Alors nous espérons sincèrement que des grimpeurs s’y aventureront ! On attend vos retours !! Si vous êtes curieux voilà quelques images pour se rendre compte de l’ampleur de la bête : https://fb.watch/1xcJKXoT3c/ !!

En ce qui me concerne j’espère y retourner un jour et prendre le temps de bien travailler et enchainer les longueurs en dalle qui m’ont posé problème… Il manquait nos deux pros de la dalle… Arnaud et Eline j’aurais bien eu besoin d’un cours ! Et puis, 3 semaines c’est court pour équiper et grimper une grande-voie de cette ampleur !

Pour finir, je retiendrai plus que tout l’accueil chaleureux et les beaux échanges avec les grimpeurs locaux. L’escalade en Macédoine est une activité récente, ils étaient contents de nous montrer leur terrain de jeu, et nous ravis de partager notre passion. Une belle immersion dans leur mode de vie : des petits-déjeuners de rois, des restaurants de grillades à gogo, du hajvar, de la feta grillée, du vin, du rakija et beaucoup d’ambiance ! Merci à tous et spécialement à Dimi, Cosi, Vlado et Julie !!

Ski Hut Gorica – Mavrovo

Encore une fois nous sommes partis juste à temps avant le confinement !

Bon courage à tous,

Solène

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